Depuis des temps immémoriaux l’homme s’est fixé dans les montagnes de l’Aigoual et du Lingas. En dehors des terrains qu’il cultivait et des pâturages qu’il pouvait irriguer, le cévenol allumait des feux, écobuait, pour améliorer les pâturages des troupeaux de bêtes à laine indigènes ou transhumants. Cette pratique ancestrale a fait disparaître la forêt qui a été remplacée par des associations végétales bien caractéristiques: la lande à genêt purgatif, à callune, et la buxaie des sols calcaires.
À cette érosion de la couverture végétale provoquée par un déboisement intensif s’ajoute celle suscitée par le harcèlement des intempéries d’un climat rigoureux. Les rafales du marin chargé d’humidité viennent buter contre le bord du massif. Entrant en contact avec une région froide, elles provoquent la chute de pluies violentes, parfois de véritables trombes d’eau, presque toujours au début de l’automne, à l’équinoxe, après des étés secs et chauds, pendant lesquels l’évaporation a été très forte en Méditerranée et a accumulé beaucoup de vapeur d’eau dans l’atmosphère.
Le déboisement de l’Aigoual est relativement récent. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle les Hautes Cévennes du bassin de la Dourbie étaient jadis une vaste forêt peuplée de cerfs, loups, sangliers, ours. En 1725, devant la forte dégradation des taillis de chênes verts du bas pays, une ordonnance royale invite les verriers du Languedoc à se déplacer au pied du massif de l’Aigoual, « où les bois de hêtres sont assez garnis pour alimenter leurs fourneaux pendant une période illimitée, si l’on prend soin de couper les arbres avec méthode ».
Durant le XVIIIe siècle, l’équilibre se maintient entre les vastes forêts de hêtres et de sapins et les pâturages immenses où paissent, durant l’été, les vaches et les milliers de moutons. Les quelques terres labourables permettent de semer seigle et avoine. Mais à la fin du siècle l’équilibre bascule: l’exploitation des bois pour les verreries, les fonderies et le chauffage du bas pays s’accentue de plus en plus.
Parallèlement, les pâturages gagnent du terrain, sous une pression toujours croissante du nombre de moutons venant estiver, les crises séricicoles de 1820 et 1853 contraignant les agriculteurs à augmenter considérablement leur cheptel, pour compenser la baisse de leur revenu.
Les incendies (écobuages), destinés à nettoyer le sol, les essartages, repoussent toujours plus loin les limites de la forêt. Les sols dénudés n’étant plus retenus par les racines des arbres, les pluies diluviennes d’automne provoquent une érosion phénoménale. Elles emportent tout: terres, roches, troncs, avant de se déverser dans les vallées causant des dégâts encore jamais vue. En 1870, il ne reste plus que 2 000 hectares de taillis de hêtres, et quelques pins sylvestres.
À la fin du XIXe siècle, les hautes terres de l’Aigoual présentaient donc un paysage de vastes pâturages sur les croupes arrondies des sommets avec des landes mixtes de bruyère et de genêt, sur les pentes des hêtraies clairsemées ouvertes au parcours du bétail, et des taillis. La reconstitution naturelle était quasi impossible, moutons et chèvres broutant les jeunes pousses.